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26 juillet 2007 4 26 /07 /juillet /2007 16:48

e-vert.gifn avril 2006, la Commission européenne engage une procédure en manquement à l'égard de la France, la mettant en demeure de reconsidérer le principe des tarifs régulés du gaz et de l'électricité. Elle considère en effet qu'un "mode de fixation étatique des prix ayant un tel caractère de généralité, de permanence et de rigidité, dénué de transparence dans son mode d'attribution (...) ne peut être présumé indispensable dans un système où le libre jeu de la concurrence entraîne en principe la fixation de prix compétitifs"1. Que ce qui n'est autre qu'un préjugé de l'époque ("le libre jeu de la concurrence") ne se révèle vrai qu' "en principe"2 n'interdit pas pour autant la Commission de l'opposer à ce qui n'est qu'un autre préjugé, les prétendues "généralité", "permanence" et "rigidité" qu'imposerait une instance régulatrice. Ici l' "analyse" se contente d'opposer des figures (« généralité/permanence/rigidité vs liberté") mais serait sans doute bien désappointée devant ces autres « figures », à ses yeux apparemment inconciliables, que sont la constance du sage3 (rigidité?), la valeur générale d'une règle librement établie (généralité?) ou la nécessaire permanence du principe de liberté (permanence?). Car il en va, selon la Commission, de ce qui n'est que l'énième artifice d'une idéologie qui refuse de se penser comme telle4, la "transparence", celle qu'instituerait le "libre jeu de la concurrence" par le truchement du marché, qui lui exhibe, paradoxalement, tout ce qui la nie (situations monopolistiques, différenciation artificielle des produits, publicité-mensongère et informations tronquées, etc.).

A l'opacité d'un tarif fixe et défini, la Commission lui préfère la limpidité d'une évolution chaotique - augmentation de 75% des prix moyens pour les entreprises constatée entre avril 2001 et avril 2006 - et l'évidence d'une inflation éruptive5 - augmentation de 48% entre 2005 et 20066. De plus, le prix régulé pâtit d'un vice rédhibitoire, à savoir l'arbitraire de "son mode de fixation", alors même que celui qu'établit "le libre jeu de la concurrence" est déterminé sur les mêmes bases7 et selon des critères identiques (marges, profits, bénéfices, parts de marché, etc.). Mais ce dernier peut quant à lui s'autoriser, par procuration seulement puisque soumis aux mêmes contraintes, de l'épithète de ce qui le rendrait possible: "le jeu libre". Or même si un acte libre n'est plus forcément un acte gratuit, une augmentation continue des prix risquerait d'entacher d' arbitraire ce que l'on aurait dû voir que comme l'expression d'une liberté chèrement conquise sur le diktat de l'héritage bolchévique et ce d'autant plus sûrement lorsque "les caractéristiques physiques de l'électricité et du gaz naturel ne permettent aucune différenciation"8 entre ce que proposent les différents fournisseurs, rendant ainsi l'appréciation de la diversité des prix plus que sujette à équivoque. Mais qu'à cela ne tienne, si les ressources naturelles dépérissent, celles qui sont mises en oeuvre pour sauver le système ne sont pas près de se tarir: d'aucuns invitent déjà les fournisseurs d'électricité à "renouveler leurs stratégies marketing et commerciales pour parvenir à se différencier..."9

A ce stade, on peut crainde que l'idée que "la vie du monde moderne relève autant de l'imaginaire que n'importe quelle culture archaïque ou historique"10 fasse injure à ces sociétés.


 

1. Mon immeuble.
2. C'est-à-dire qu'il est "logiquement" valide mais pratiquement aléatoire, considération qui en dit long sur le caractère "scientifique" de l'économie et l'intérêt des recommandations qu'elle serait et qu'elle a été amenée à faire.
3. "De la constance du sage", Sénèque.
4. "[Les] couches dominantes sont elles-mêmes dominées par [l]'imaginire qu'elles ne créent pas librement." Cornélius castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Points Essais, Seuil, 1999, p.237.
5. Ces évolutions sont, il va de soi, tout à fait compréhensibles.
6. Marc Chevallier, Gaz, électricité : un marché de dupes ?, Alternatives économiques, n° 260, juillet-août 2007.
7. M. Poniatowski « souligne que l'explosion des prix de l'électricité entre 2002 et 2007 est d'autant moins justifiée que le système n'a pas changé : les centrales nucléaires produisent toujours 80 % de l'électricité consommée à un prix très compétitif et avec peu d'émission de CO2. »
Energie : la liberté des prix inquiète l'UMP et les propriétaires immobiliers, Le Monde, 24 juillet 2007.
8. Les stratégies de vente de l'électricité et de gaz naturel en France, Eurostaf, décembre 2005.
9. Ibid.
10. Cornélius Castoriadis, ibid. p. 235.

Illustration: Croquis, Marcel Gromaire, Musée national d'art contemporain, Centre Georges Pompidou, Paris.

 

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